Uber Life

2022-01-18

Entre photographies, installations graphiques et créations plastiques ou encore jeux vidéo, « Uber Life », l’exposition de Tassiana Aït Tahar multiplie les supports, les points de vue et les disciplines afin d’immerger le spectateur dans le monde des plateformes de livraison à domicile. Précarité, insécurité et travail dévalorisé, les livreurs à vélo exercent un métier pénible dans des conditions difficiles. Plusieurs auteurs, sociologues du travail ou experts, n’hésite pas qualifier ce type d’emploi de nouvelle forme « d’esclavage moderne ». À la fragilité et aux incertitudes d’emploi, à l’absence de protection sociale ou au paiement à la tâche, s’ajoutent les incivilités des clients, le manque de considération, les comportements agressifs, voire haineux. En mai 2021, à Laval, un livreur reçoit le message suivant « Dépêche-toi esclave ». Quelques jours après, c’est à Paris, puis à Cergy que des livreurs subissent agressions physiques et insultes racistes.

« Les clients savent qu’on ne leur dira rien. Ils se disent qu’ils ont affaire à des jeunes de cité ou des personnes sans papier et qu’ils peuvent tout se permettre, ils se sentent tout permis » s’insurge Tassiana Aït Tahar.

La jeune femme, originaire de Metz et diplômée de l’école Kourtrajmé après des études d’histoire de l’art, sait de quoi elle parle. Devenue livreuse Uber Eats en 2019, elle documente son expérience au quotidien, avant de restituer cette collection de brèves de vie sous la forme d’un film. D’autres œuvres nourrissent le projet « Uber Life » dont une série photographique, un collage des messages de la clientèle « Ubernout » ou encore « la roue de l’Infortune », une œuvre qui place le visiteur face aux réalités du métier, du pire au meilleur. « Vous galérez à trouver ce client » ou « vous tombez sur un client relou » ou encore « Compte désactivé » sont quelques-unes des possibilités sur lesquelles vous risquez d’atterir. Efin, pour mieux embarquer le public dans les aléas de la livraison, un jeu vidéo « Ubergamme » permet de s’essayer à l’exercice dans des conditions s’approchant le plus possible du réel.
Avec ce projet présenté au 104, Tassiana Aït Tahar veut donner plus de visibilité à ces travailleurs précaires, en « première ligne » lors du confinement.

” [Pendant le confinement], on était tout le temps dehors, sans masque, sans gants et si on ne travaillait pas, on n’était pas rémunéré·e·s parce que c’est de l’auto-entreprenariat. C’était les débuts de l’épidémie, on devait sonner chez les gens, taper les codes, monter les étages… On était un peu en première ligne, et malgré tous ces risques qu’on prenait pour livrer des gens qui ne pouvaient pas se déplacer (des personnes âgées ou handicapées entre autres), personne ne parlait de nous nulle part.” explique-t-elle à Konbini.

En montrant la « vie Uber » de l’intérieur, l’artiste veut aussi faire prendre conscience au public des difficultés auxquelles les livreurs se trouvent confrontés tous les jours, entre incivilités, covid-19, précarité, contrôles de police et dangers routiers.

Présentation
Pour certains, la plateforme Uber permet à des jeunes de trouver un emploi. Pour d’autres, elle est l’incarnation d’un capitalisme débridé. Au-delà, il y a le quotidien des livreurs, les sens qu’ils trouvent à ce travail, leurs visions de la société. Autant de regards que Tassiana Aït Tahar, elle-même livreuse, déploie à travers son installation visuelle et sonore. Aux murs, un collage de screenshots et de coupures de presse lève le voile sur les coulisses du “job”, entre violence et dérision. Mais c’est la “zone d’attente des courses”, que l’artiste recrée à partir de ses vidéos et photographies, qui devient la caisse de résonnance de ces voix : les langues et les rires s’y délient autour d’un foot ou d’une chicha entre les chaises pliantes, les scooters et les casques, on y désamorce la “roue de la fortune” qui décidera du prix de la course. Ces visages, ce sont la revanche d’une dignité humaine sur l’éternel logo des sacs isothermes.
(Source : Le 104)

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