Lexik des cités

2007-10-04

Comment se comprendre si l’on ne parle pas le même langage ? Cette question, dix jeunes habitants du quartier du Bois-Sauvage, à Evry, y répondent dans le Lexik des cités, paru aux éditions Fleuve noir. Épaulés par l’association « Permis de vivre la ville », les auteurs âgés de 19 à 25 ans décryptent leur vocabulaire du quotidien à l’intention de ceux qui ne le parlent pas.

De la sélection des mots à l’écriture des définitions, jusqu’aux illustrations, l’ouvrage est le fruit de trois années de travail. Un processus nécessaire pour passer au crible les 241 mots choisis et retracer le parcours de chacun d’entre eux. À cette fin, le collectif se lance dans de véritables « enquêtes étymologiques », interrogent leur entourage et échangent avec une linguiste afin de percer les mystères du « parler des cités ».

Entre emprunts à l’arabe, au gitan, à l’antillais, à l’anglais ou l’espagnol pour ne citer que ces langues, les mots voyagent, évoluent et se transforment au gré des rencontres. Enrichi d’argot ou ciselé par le verlan, le langage des cités se joue des frontières et parfois du temps comme en témoigne la présence de termes hérités de l’ancien français.

Les échanges sont denses entre cultures d’origine et d’arrivée, souligne le linguiste, Alain Rey, qui préface le Lexik des cités en compagnie du rappeur Disiz la Peste dans un dialogue enlevé. La rencontre entre le spécialiste septuagénaire de la langue française et les jeunes auteurs donne aussi lieu à de savoureux échanges. D’autant plus que le lexicographe, aux manettes des éditions Le Robert, a ouvert les pages du dictionnaire au verlan. À l’initiative d’Alan Rey, rebeu, ripoux, keum ou encore keuf font leur entrée dans Le Robert, ce qui vaudra quelques soucis au linguiste comme le relate un article du Journal du Dimanche.

« Dans l’édition 2008 du vénérable dictionnaire, Alain Rey ose même accoler au mot “rebeu” (beur en verlan) une phrase extraite d’un polar du Marseillais Jean-Claude Izzo: “T’es un pauvre petit rebeu qu’un connard de flic fait chier.” Il n’en fallait pas plus pour susciter la colère des syndicats de policiers et pour que la ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie, exprime sa désapprobation… Lorsqu’il raconte l’anecdote à ses interlocuteurs, Rey fait son petit effet. “Non, c’est pas possible !”, s’exclame Cédric, 25 ans.
“Mais si, mais si, je vous l’ai dit, c’est la galère de faire un dictionnaire…”
“On vous croit m’sieur, on sait ce que c’est nous aussi! “, répond le jeune Antillais ».

Si le linguiste considère le vocabulaire des cités comme un enrichissement de la langue française, certains de ses confrères évoquent plutôt une « ghettoïsation du langage ». Et c’est précisément cette barrière que les jeunes auteurs ont voulu surmonter, conscients de parfois nourrir les incompréhensions entre générations alimenter l’incompréhension entre générations ou milieux culturels et sociaux différents. Cet obstacle d’un unique registre de langage maîtrisé peut, aussi, leur fermer des portes. Travailler sur cet ouvrage leur a non seulement permis de découvrir les richesses des mots de tous les jours, mais aussi celles d’une langue qu’ils connaissent moins.

Le Lexik des cités apparaît bel et bien comme une arme mise au service du dialogue, et de l’échange, mais aussi à celui d’une langue vivante, le Français qui, selon Alain Rey, ne perd rien à s’étoffer de mots venus d’ailleurs… bien au contraire.

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