Pour l’artiste Youv Dee, « La vie de luxe » a longtemps été une aspiration avant d’être le titre de son premier album, mais cette quête d’une « vie de luxe » n’est pas uniquement matérielle… Conquérir Paris alors qu’on vit à Sarcelles, trouver sa place quand on se sent en décalage, s’accomplir alors qu’on ignore que faire de sa vie, s’en sortir quand on ne sait pas comment… Toutes ces étapes, le chanteur, interprète et compositeur les a franchies non sans mal.
De son enfance et adolescence à Sarcelles, Garges-lès-Gonesse et Saint-Brice-sous-Forêt, il garde le sentiment d’avoir été en décalage permanent, entre deux mondes.
À la fois solitaire et populaire, moqué puis admiré, Youv Dee prend très tôt conscience de sa singularité, mais décide « de faire de ses différences, une force » suivant le conseil de sa mère. Dans le quartier, le jeune Sarcellois dénote avec ses goûts et son style vestimentaire « déjà très Parisien » dit-il. Éclectique, il aime autant le rap américain que la musique classique, Mylène Farmer, David Bowie ou Iron Maiden. Du zouk au métal, du R&B au punk-rock, en passant par la musique indienne, Youv Dee découvre, explore et savoure tous les genres, refusant de se cantonner au rap. À l’adolescence, s’écarter des normes culturelles en vogue n’est pas toujours évident, l’assumer l’est encore moins, mais Youv Dee n’entend pas étouffer sa personnalité. « J’ai toujours été bizarre » souligne-t-il lors des interviews.
Désœuvré, un peu perdu, l’adolescent aspire à plus, même s’il ignore comment atteindre cet objectif. Le déclic viendra d’un freestyle impromptu qui lui révèle ses talents de rappeur et sa vocation. Membre du groupe L’Ordre Du Périph, prestations lors d’open-mics, diffusion de ses improvisations sur les réseaux sociaux, sortie d’une mixtape en décembre 2017, récompense au Printemps de Bourges l’année suivante, puis invitation sur un titre du rappeur américain Trippie Red, Youv Dee conquiert la génération Z et gagne l’estime de ses pairs.
Le cloud, le trap ou l’émo-rap, courants musicaux américains s’éloignant des codes traditionnels du hip hop, l’inspirent. Avec son parti-pris artistique, son style et ses paroles, Youv Dee s’inscrit dans la lignée d’artistes iconiques du genre comme Lil Uzi ou XXXTentacion. Le rappeur se fait rockeur, n’hésite pas à afficher ses sentiments, mettre du vernis, arborer piercings et tatouages ou se teindre les dreadlocks en rose. Enfin, Youv Dee, imprégné de culture « geek », parsèment ses œuvres de références aux mangas et jeux vidéo. Jusqu’alors le rap français se montrait plutôt réticent à adopter des sonorités rock, punk ou métal, se tenait à l’écart des looks excentriques des stars du rock, de la pop ou des personnages de mangas. Si les rappeurs se gardaient auparavant d’exprimer ouvertement leur sensibilité et de se démarquer des codes culturels en vigueur, l’artiste sera l’un des pionniers à ouvrir la voie.
Youv Dee assume son style atypique, affirme l’originalité de son univers personnel et refuse d’être « enfermé dans une case ». Un travers très répandu en France, comme il le souligne dans une interview au Point, qui s’empresse de lui donner raison en alignant stéréotypes et préjugés.
« Il n’y a pas que le hip-hop dans la vie des jeunes Noirs originaires de Sarcelles » se réjouit le magazine qui s’empresse de préciser que ce « nouvel espoir du rock […] s’est installé dans le 16e ». Un changement d’adresse apparemment crucial qui pourrait venir étayer le titre de l’article « Quand Youv Dee s’évade de la prison du rap »…
Déconstruire les stéréotypes sur les cultures urbaines et les habitants des quartiers populaires prendra visiblement encore un peu de temps. D’ici là, Youv Dee espère que son parcours servira d’encouragement pour « faire comprendre aux petits que quel que soit l’endroit d’où tu viens, tu ne peux pas te contenter de peu. Quand tu pars de rien, vise le max »