Après le succès de la Marche des Beurs et de Convergences 84, la mode est au « beur ». L’engouement pour le mouvement est considérable, tandis que sa vitalité ne se dément pas. En 1985, le journal « Sans Frontière » sort « La Beur Génération », un numéro spécial qui en témoigne.
Toutefois cette visibilité soudaine ne doit pas masquer l’engagement plus ancien de certains de ces acteurs. « Sans Frontière », par exemple, fut créé en 1979 par des membres de la troupe de théâtre Kahina et un groupe constitué de grévistes de la faim, menacés d’expulsion, en raison du durcissement des lois régissant le séjour des immigrés, en France.
Le théâtre, la musique comme la littérature seront ainsi les premiers vecteurs d’expression d’une jeunesse immigrée confrontée au racisme, au rejet, à la ghettoïsation, à la quête identitaire et aux violences quotidiennes, qu’elles soient policières ou non. Ainsi, en réaction au meurtre de Mohamed Diab en 1973, dans un commissariat de police, se forme la troupe de théâtre Al-Assifa. Puis, en 1975, la troupe Kahina voit le jour en en Seine-Saint-Denis, Nedjma l’année suivante et Week-end à Nanterre en 1977, bien d’autres suivront.
La scène devient, alors, un espace privilégié, propice à exprimer révolte et colère contre des conditions de vie souvent indignes. Un exutoire à la vie quotidienne, aux brimades, au rejet et aux violences subies. A l’exemple de « Ya Oulidi » en 1981, écrite et jouée par la troupe marseillaise de la cité des Flamants. La pièce de théâtre évoque la mort de Lahouri Ben Mohammed, 17 ans, tué par un CRS qui avait prévenu quelques minutes avant de tirer « Attention les jeunes, je ne sais pas si c’est le froid, mais ce soir, j’ai la gâchette facile… ». « Créer, ça sera notre façon de venger notre frère, de refuser qu’il soit mort pour rien », souligne un de ses auteurs, Nasser Lazreg Moussa Maaskri. La pièce « Faits divers » jouée par la troupe Chakchouka évoque, quant à elle, le mariage forcé ou encore « Mohamed Travolta » de la troupe Ibn Khaldoun s’intéresse au conflit des générations.
Crimes racistes, quête identitaire, double peine et durcissement de l’arsenal législatif, travail, culture et mœurs sont autant de thèmes évoqués dans des pièces, jouées dans des cafés, MJC, foyers Sonacotra, prisons et usines en grève, voire dans la rue ou plus rarement à Avignon (« Barka ou la vie barisienne » de M.Lebkiri, Off d’Avignon).