Dans ce récit, empli d’amertume, Sakina Boukhedenna témoigne de son mal-être. « C’est en France que j ‘ai appris à être Arabe. C’est en Algérie que j’ai appris à être l’Immigrée » écrit-elle. Avec un langage parfois argotique et souvent violent, elle déroule une tranche de vie de 1979 à 1980. Née à Mulhouse, en 1959, au sein d’une famille d’immigrés algériens, l’auteur éprouve les plus grandes difficultés avec sa double culture et son identité.
Résumé :
Sakina est “mal dans sa peau”, “instable à tous les niveaux”, “née dans un bled pourri”. Elle fait fugue sur fugue, dégoûtée de la famille, de tout. Elle fréquente des copains et des copines qui font les mêmes expériences : on “picole”, on chaparde, on court les “boîtes” ; on se venge de la société de consommation trop chère”. On rejette “le système du père” trop rigide.
Sakina a eu la flemme de s’inscrire à l’A.N.P.E. : “les papiers à remplir, c’est trop chiant à faire”. Bref, c’est rapidement la marginalisation, l’errance, le dégoût de soi et de la société où l’on vit, “20 ans, 20 fleurs fanées”, écrit-elle au début d’un poème. Elle vomit tous les “intellos” de gauche aussi machos que les autres. Elle apprend peu à peu que la civilisation occidentale n’est pas la sienne : “je suis orientale”. Elle dit faire partie du “peuple arabe”, elle se sent de plus en plus exilée, déracinée. “Nous sommes Arabes noyés dans l’interdit français”. Elle apprend l’arabe et souhaite “redevenir une vraie Arabe”, car elle était “victime d’un manque”. Elle va même jeûner pendant le ramadan par réaction identitaire contre l’Occident. Cependant, elle dit “qu’elle peut être Arabe sans croire à Dieu”. “Algérienne, lève ton poing même si tu cries Allah Akbar, fais chier ces Français, mets ta djellaba et craches sur leur bleu de travail, pisse sur leurs drapeaux français et souris-leur, avec l’étoile et le croissant algérien”. Voilà qui alimenterait le discours de Le Pen.
Bref, elle va donc effectuer son pèlerinage aux sources : le voyage en Algérie. Mais elle tombe de Charybde en Scylla. Déceptions, désillusions, dégoût. Elle ne trouve que des mâles frustrés sexuellement qui lui font des propositions, depuis les policiers jusqu’au gardien du pavillon des filles à la cité universitaire, en passant par le gentil Palestinien de gauche, en manque lui aussi : une fille d’immigrés est une putain, c’est aussi simple que cela ; elle doit être aussi “facile” que toutes les Françaises. Il n’y a qu’à tendre la main droite… Elle découvre que la femme est niée purement et simplement, sauf si elle est la mère ou la sœur. Pas de milieu : la maman ou la putain. Or, elle n’était ni l’une ni l’autre. “Toutes les femmes sont des putains sauf ma mère”, c’est connu. Sakina veut “s’assumer en tant que Femme, tout simplement”. Elle constate que c’est impossible en Algérie. Elle revient donc en France avec la nationalité “immigrée”. (Source : Revue Hommes et Migrations, n°1112, avril 1988)