Commotion est le premier album de Tracy de Sá, rappeuse féministe comme elle se définit elle-même, qui vient « d’un peu de partout et de nulle part en même temps ». Une formule creuse et convenue que les artistes répètent à longueur d’interview ? Rien n’est plus faux dans le cas de la chanteuse. Née en Inde avant un départ pour le Portugal, l’Espagne et finalement la France, la jeune artiste va longtemps peiner à trouver sa place.
Sous pression
Une enfance espagnole où les différences ne se laissent pas aisément oublier et une adolescence passée dans un milieu dont les codes lui sont étrangers vont profondément la marquer. En Espagne, sa famille monoparentale, ses origines parfois violemment rappelées, à coup d’insultes racistes, son accent ou sa couleur de peau lui donnent la sensation d’être en décalage. Décalage encore accentué lorsqu’elle intègre, avec son frère, un établissement privé. Après des années difficiles, leur mère vient d’y être embauchée comme professeure. Faute de maîtriser la langue du pays et ne pouvant y faire valoir ses diplômes, elle a longtemps été femme de ménage. « J’ai grandi avec cette image de la femme qui souffre pour donner de meilleures opportunités à ses enfants » explique Tracy de Sá.
Si la situation familiale s’améliore, « l’enfant de prof’ » se sent perdue dans cet environnement privilégié, sans oublier l’inconfort de son statut. « J’étais dans une position délicate. J’étais la fille d’une des profs ; en parallèle de mes premières expériences de racisme à l’école, j’avais l’obligation d’être un exemple. J’avais beaucoup de pression : il fallait que je donne une bonne image de moi, que je montre que ce n’est pas parce qu’on vient d’une famille précaire qu’on ne sait pas s’exprimer, que j’étais sage, que je savais m’assimiler… À côté de ça, j’ai commencé à travailler à 14 ans pour avoir de l’argent de poche, et aider un peu ma mère ».
« Être sage », Tracy de Sá va s’y atteler avec sérieux, accumulant les bons résultats scolaires, s’obligeant à la discrétion, déterminée à prouver sa légitimité… en vain. « J’étais toujours celle qui en faisait le plus, mais on me dévalorisait ».
De décalage en dévalorisation, les frustrations s’accumulent. La danse sera une première passion et surtout une première « réconciliation avec son corps ». La découverte du monde hip hop, où la diversité apparaît comme un atout, sera ensuite une libération. Lorsque Tracy rejoint la France pour y poursuivre ses études, elle continue à danser avant de finir par s’emparer du micro.
Pour comprendre sa musique dit-elle, il faut comprendre son parcours. Effectivement, entre paroles engagées, sonorités latinos ou indiennes, flow précis et techniques hip hop maîtrisées, le premier album de Tracy de Sá reflète ses multiples expériences et influences.