« Pépite du 93 », « Florence Aubenas avec la langue de Jamel Debbouze », « style inimitable entre punch line et argot de banlieue » … pour une partie de la presse, parler de l’ouvrage de Slimane Kader ne semble pas être l’exercice le plus facile de l’année. Parmi les commentateurs restants, certains réussissent à s’écarter des poncifs sur « le jeune de banlieue d’origine immigrée qui… (à compléter par l’activité adéquate) », pour valoriser « un auteur à découvrir ». Ainsi, même si Slimane Kader conserve un style personnel, mélange détonnant de français, argot et anglais engorgé de flow, il gagne enfin son statut d’auteur « tout court » avec ce second récit.
Sensation littéraire 2014, l’écrivain n’en est effectivement pas à son coup d’essai. En 2011, dans « Wam » il faisait le récit épique d’une nuit à Paris. Un « premier roman à se tordre de rire » selon son éditeur.
Dans « Avec vue sous la mer », l’humour reste présent, mais se teinte d’amertume à la lecture de ce voyage dans les cales du tourisme de masse. Slimane Kader restitue avec justesse l’envers du décor des croisières, la vie à bord des paquebots d’un peuple invisible et précaire, damnés de la mer. Travailleurs de misère qui triment sans jamais ou presque voir la lumière du jour, interdits de ponts où se prélassent la clientèle. Coulisses démentes d’un monde flottant où le travail s’organise par ethnies, les humiliations se succèdent sans oublier les cafards ou les horaires ahurissants, le tout dans une promiscuité qui n’encourage pas la fraternité à l’égard de ses camarades de cabine.
Sa description est si vivace, le ton enlevé et le style si particulier que le lecteur plonge au plus profond de cet « esclavage moderne ». En 2016, un jury de spécialistes ne s’y trompe pas et reconnait l’intérêt de ce témoignage en lui décernant le Prix du roman d’entreprise et du travail. Slimane Kader apprend la nouvelle alors qu’il est en mer et réagit alors avec incrédulité. « C’est cool d’avoir un prix même si c’est chelou. Tu fais un taf’ de crevard et on te file une médaille. La vérité j’comprends pas » écrit-il dans un message à son éditeur. En attendant de poursuivre son ascension à bord, déjà entamée en passant de plongeur à steward, Slimane Kader continue ses activités d’auteur. En 2021, son roman « Santa Rosa » s’inspire une nouvelle fois de son expérience. La même année, il est question d’adapter « Avec vue sous mer » au cinéma.
Pendant ce temps, le mystère Slimane Kader perdure. Sur sa photographie, l’auteur apparaît dissimulé sous une couscoussière ou marmite, selon les observateurs. Il écrit sous pseudonyme et souhaite conserver son anonymat. Tout juste arrive-t-on à trouver quelques bribes d’informations biographiques sur Internet, toujours les mêmes : « Fils d’immigré, il a grandi en banlieue parisienne. Renvoyé de chez Buffalo grill pour avoir refusé de se déguiser en père Noël, il travaille aujourd’hui à la plonge sur un bateau de croisière en mer des Caraïbes »…
Résumé
« Tu connais le Pyramidia dans le 77 ? C’est un hôtel. Et c’est là que tout commence. Dans un hall. Entre un comptoir et deux ficus. Face à un panneau où il y a écrit « Magic Cruising Espace Rencontre. »
Un matin, Slimane Kader décide de s’engager sur un bateau de croisière en mer des Caraïbes. Fini la cité du 9-3, direction Miami, mais pas pour le farniente et les palmiers. Il se retrouve homme à tout faire dans une ville flottante transportant 8000 passagers. 6000 ont vue sur la mer : les touristes. 2000 vivent sous la mer : des esclaves modernes, employés pour répondre aux désirs des étages supérieurs. Les Chinois aux cuisines, les Indiens à la buanderie, les Mauriciens au service, les Chicanos au nettoyage. Slimane, jeune Français originaire de Kabylie, est au bas de l’échelle, le « joker ». Appelé là où il faut des renforts, il fait tout, et raconte tout. Voici la face immergée du tourisme de masse.
Mais Avec vue sous la mer est plus qu’un témoignage. C’est un geste littéraire. Dans sa langue drue, vivace, et avec un humour cinglant, Slimane Kader signe une comédie noire qui en dit long sur notre époque.
(Source : Allary Éditions)